Pays
mon pays est un arbre
une source
une pierre
mon pays est un souffle de vent
dans l’aurore
une trille d’oiseau
et la respiration de l’eau
mon pays n’est pas un drapeau
mon pays n’est pas ce mensonge perpétuel
étalé à la une de la cupidité quotidienne
de la bêtise tentaculaire
les fossoyeurs sont au pouvoir et à l’œuvre
ils enterrent l’avenir
je vis en terrain miné
en terre éventrée
dont les veines charrient les poisons de cet âge
mon pays est une espèce en voie de disparition
mon pays n’est pas une langue de bois
ces faux-semblants de mots
sables mouvants du vide
mon pays est ce silence habité des forêts
ce frémissement d’existence dans les feuilles
le chant et la parole des esprits de la Terre
mon pays est une espèce en voie de disparition
comme cette parole qui s’efface derrière les écrans de la solitude
dans les nébuleuses de l’éphémère
mon pays vient d’un rythme plus ancien que le temps
au cœur battant de la pierre
mon pays est un instant d’éternité
dans une goutte d’eau
mon pays n’est pas cette course frénétique
vers l’abîme d’inutiles désirs
cette soumission au désert des apparences
à la mortelle vanité d’un reflet sans lendemain
mon pays n’est pas cette langue désarticulée
dans le grand chaos de l’histoire
où nous perdons des lambeaux de notre âme
et les racines de nos rêves
mon pays est un arbre
une source
une pierre
mon pays est une espèce en voie de disparition
© Francine Hamelin
Solitude
des enfants-fleurs chantent
en naissant du cri d’un siècle désenseveli
nous traversons
d’immatériels ponts sous l’effeuillaison des brumes
nous nous acheminons pas à pas
vers une radiante sonorité
sous le regard attentif de l’être-soleil
nous déjouons le labyrinthe des saisons
nous franchissons de baroques portails
j’habite la solitude de l’unité
toute création est accueil au sein du poème
j’offre mes paumes à la clameur de la vie
un peuple croît sans masque
un peuple magicien se lève
d’entre les orangers calcinés de soleil
la solitude a la divine voix de la musique
© Francine Hamelin
Arbres blancs
arbres blancs de décembre au cœur du mois d’avril
je vous donne à jamais des poignées de soleil
pour qu’au-dessus de vous des vols d’oiseaux sauvages
se fassent une ronde en se riant du temps
en se riant des vents et des jours et des neiges
et je trouve en vos âmes des astres beaux et denses
aux plages du silence comme des enfants fous
arbres blancs de décembre au creux de rêves rouges
quelle est cette présence qui vous relie à moi
en mes mains vos racines ont laissé des voyages
vos racines en moi s’ensevelissent d’air
arbres blancs de décembre au bout de mes artères
et quelle étrange vie a fleuri vos écorces
anémones de feu aux musiques du givre
quelle brûlante étoile a éveillé vos voix
arbres blancs de décembre au creux des transparences
© Francine Hamelin
Matins
y a des matins parfois en mon âme un peu folle
où des oiseaux dansant dans le ciel qui s’allume
comme voiliers de vent s’effilochent de brume
aux mouvantes marées qu’encore ils imaginent
et leurs ailes luisantes dans le ciel anonyme
changent pour un instant les montagnes en îles
où se suspend le temps de ce monde fragile
où s’arrête la mort au bout des océans
© Francine Hamelin
Une poignée de terre
au profond de ma vie une poignée de terre
pour y planter un rire un bouquet d’arbres verts
une forêt de flammes et des chants de lumière
et des jardins sauvages des chemins de rivières
voici le jour magique constellé de musiques
et la source du cœur et le fleuve du vent
voici les fleurs solaires d’une aurore secrète
l’oiseau enraciné aux rêves des grands arbres
et cette voix ténue de l’herbe qui murmure
une chanson de joie une parole vive
une poignée de terre pour y semer le blé
et pour poser mes pas aux routes du silence
au profond de ma vie une poignée d’espace
pour des songes d’oiseaux des nuages nacrés
et pour qu’échappent au temps le souffle d’un poème
l’ivresse d’un printemps et l’enfance si belle
voici les nuits légères en leurs vitraux d’étoiles
cathédrale céleste voûte de galaxies
scintillantes cantates et fresques infinies
voici la terre douce d’éternelle mémoire
et le temps suspendu d’une infinie saison
voici le doux pays de l’humaine lumière
une poignée d’espace pour y semer des ailes
et pour semer l’espoir en ce pays que j’aime
une poignée d’espace et un soupçon de vent
une poignée de terre un instant dans le temps
© Francine Hamelin
Quel étrange chemin…
quel étrange chemin me relie au silence
quand l’automne se perd au bout de son voyage
et que les oies repartent et demeurent sauvages
comme les neiges bleues qui seront là demain
quel étrange chemin m’emporte vers la mer
sans que je sache même s’il est des océans
qui m’entourent ou me noient mais qui laissent intacte
l’enfance de mes yeux au rêve de la vie
quel étrange chemin me relie à la terre
quand les autres visages se masquent ou se détournent
quand les autres regards s’entreferment ou s’enfuient
et je demeure seule avec la solitude
quel étrange chemin m’ouvre des cathédrales
au profond du silence et l’étoile du jour
me consume à demi mais laisse en moi intacte
l’enfance de ma vie l’enfance de ma joie
© Francine Hamelin
Le temps d’un autre temps
Lors de mon premier voyage aux Îles-de-la-Madeleine, j’ai eu un immense coup de foudre pour l’albâtre de là-bas. Lorsque mes mains ont tenu cette pierre pour la première fois, je suis entrée dans un autre univers: la pierre me parlait. Il en a résulté une passion absolue pour la sculpture, et j’ai sculpté pendant 10 ans, 8 heures par jours, 365 jours par an. Et la pierre a sculpté mes doigts. Et il a fallu que j’arrête. Même si je ne sculpte plus, aujourd’hui encore lorsque mes mains touchent l’albâtre magique, j’entre encore dans ce monde, celui du rêve des pierres.
sculpter des fragments d’éternité
le temps d’un autre temps
hiéroglyphes polies par la danse de l’eau
dévoilées sous la respiration du vent des îles
entrer dans le rêve des pierres
y parcourir les veines mêmes des étoiles
le silence et sa musique
la mémoire de la Terre
et voir émerger
sous mes doigts
les esprits fluides de la matière vivante
et dure et douce
et si pleine de lumière
le temps d’un autre temps
entrer dans le rêve des pierres
souhaiter ne pas en revenir
© Francine Hamelin
Îles
ô pays flamboyant de grandes falaises rouges
ces îles liées à mon sang
comme des chemins d’air
ces îles liées à mes os
par la force de la parole intérieure
comme une aube d’or incandescent
ces pays qui ne sont ni terre ni eau
mais éclat de beauté
comme un feu qui délivre
comme le pouvoir des musiques au fond du silence
comme ces saisons sédimentées
à la mémoire minérale de l’espace
îles de lumière
comme souffle du vent qui caresse les dunes
comme ces oiseaux cachant sous leurs ailes vibrantes
un immense soleil d’enfance inaltérable
à mon âme sont à jamais liés les vies secrètes et le rêve des pierres
comme des cathédrales enfouies
sous les sables chauds
d’une marée prochaine
et du plus grand amour
© Francine Hamelin
Fin de saison
le jardin fantasmagorique
croît au bord de mes paupières
le cri des brumes m’envahit parfois
au creux d’invisibles rivières d’arbres
me suis égarée dans l’infini de silence
dans le départ des éperviers et des chardonnerets
dans le dernier éclat des fleurs
c’est encore l’automne
et je touche la terre
© Francine Hamelin
Le plein d’âmes
mes mains sont remplies d’âmes
celles des pierres qui m’ont sculptée
celles des arbres et des forêts
qui ont accueilli mon enfance
mes mains sont remplies d’âmes
celles des jardins magnifiques
et des secrets que m’apprenait
ma grand-mère sur tout ce qui vit
et sur les esprits de la Terre
et des racines qui nous lient
à plus grand que nos existences
qui quelque part dans le temps passent
mes mains sont remplies d’âmes
celles des galets et des vagues
celles des ailes sur les vents
sur le souffle des océans
celles des marées du silence
où dansent des rêves d’oiseaux
celles des chemins où j’avance
dans le sable où mes pas s’effacent
mes mains sont remplies d’âmes
celles des mots que j’ai semés
comme repères dans une nuit
où sont éteints les réverbères
celles des nuages où s’inscrit
plus loin que mémoire et oubli
cette éternelle impermanence
d’un horizon qui toujours fuit
© Francine Hamelin
Après nous
il ne restera peut-être
que la transparence des ombres mêmes
sur des sentiers d’étoiles éparses
comme un écho lointain
d’enfances égarées
il ne restera peut-être
qu’un très pâle écho qui s’estompe
dans un improbable futur
et les bribes de nos rêves
comme fantomatiques reflets
il ne restera peut-être
qu’une phrase de Vivaldi
enroulée aux bras d’une galaxie
des mots de Prévert et de Nelligan
comme des soleils suspendus
quelque part dans le tourbillon de l’espace
lorsque nous ne serons plus
© Francine Hamelin
Danse d’atomes
immobile dans le silence
je n’ai pas de point d’ancrage
dans le mouvement tumultueux des jours
j’ai rompu les amarres
pris la route du très grand large
immobile dans le silence
je capte la chanson des vents
et le murmure des herbes penchées
sous leur souffle
et les cristallines étincelles en mi majeur
de la rosée dans la toile d’une araignée
immobile dans le silence
je suis de terre et de rivières
de rapides et de sources claires
d’esprits de forêts et de pierres
et mes racines plongent
au-delà des rêves
dans l’infinité des mondes
des morts et des genèses
bien avant que nous n’inventions le temps
et puis les mots s’écoulent
en musique d’espace
d’un soleil qui respire
sur le papier de mes nuits
demain n’existe pas
ma vie n’est qu’une danse d’atomes
dans un univers
qui ne m’appartient pas
© Francine Hamelin
Route du vent
sur la route du vent
dansent les merles
qui viennent grappiller
les fruits d’octobre
et le soleil des jours plus courts
sur la route du vent
virevoltent les rêves
des arbres entamant leur dormance
je me réfugierai dans leurs racines
au creux de l’âme de la terre
là où tout restera vivant
loin du froid bleu des longues nuits
© Francine Hamelin
Premières lueurs
les matins peinent à sortir de la nuit
les ombres s’étirent
dans le silence
du rêve et des chemins d’enfance
chemins de tous les possibles
là où je respire le sel des marées
là où je parcours les sables des déserts
là où je deviens le vol de l’aigle
et la forme infiniment changeante
des nuages éphémères
et des aurores boréales
là où le temps n’existe pas encore
loin des engrenages d’un univers impitoyable
et des réalités-miroirs
où se contemple la bêtise
les ombres s’effacent
je veille
dans les premières lueurs du jour
poésie de tous les possibles
poésie de tous les improbables
© Francine Hamelin
Mémoire des vents
je ne suis qu’un rêve d’atome
dans la mémoire des vents
qui érodent les derniers remparts
d’une réalité factice
que l’on nomme existence
je frôle la beauté
des humbles merveilles
qui peuplent les yeux des oiseaux
et les ailes du vertige
m’emportent comme une vague d’étoiles
dans l’océan du cœur
le silence est un chant
qui ne dit pas son nom
mais peuple toute chose
© Francine Hamelin
Les mots que j’écris
les mots que j’écris
dans la marge des jours
ne changeront pas le cours des rivières
ne sont que lucioles dans les herbes du rêve
étoiles dans les yeux d’un enfant
les mots que j’écris
dans des cahiers d’espace
sont des grains de sable
au hasard des plages
des cristaux fragiles sous la meule des marées
des chemins d’argile qu’useront les vents
les mots que j’écris
sur les pages d’un ciel d’ambre
voyagent sur des ailes de brume
vers les îles-refuges du silence
ne changeront pas le cours des saisons
ne sont qu’étincelles
sur les cartes changeantes
d’incommensurables équateurs
© Francine Hamelin
Ici
née ici
née de la Terre
née de ma mère dans la matière
venue de quelque part
ou bien de nulle part
dans la poussière des galaxies
dans la mémoire des rêves
ici
où donc est-ce
ici
au carrefour de quels destins
ou de quels hasards chaotiques
ici
au point de fuite des horizons innombrables
autant que dans les racines
les plus profondes de l’existence même
ici
quelque part
nulle part
je ne sais
ici
ce qu’il reste
de la beauté généreuse de la Terre
ce qu’il reste
d’un espoir insensé
et sans doute inutile
ici
dans les forêts éternelles
de l’enfance lumineuse
dans le songe inépuisable du chant d’un ruisseau
dans le bleu vibrant d’un ciel semé d’oiseaux
ici
quelque part
ou nulle part
au-delà des mappemondes tumultueuses
© Francine Hamelin
L’aile de la nuit
voici l’aile de la nuit
frôlant les mots voyageurs
qui viennent s’attarder
sur les pages d’un sommeil qui fuit
voici le souffle de la mémoire
laissant sur son passage
des visages et des âmes
qui se glissent dans l’encre
de ma plume qui rêve
et je sculpte les mots
comme on sculpte la pierre
voici la respiration d’un pays
où tout est mouvement du cœur
et esprit de l’arbre intemporel
là où m’accompagnent parfois
ceux qui ne sont plus
qu’une brève étoile filante
dans l’infini d’un songe
voici l’aile de la nuit
qui toujours me ramène
à la beauté du ciel profond
© Francine Hamelin
Ce que nous sommes devenus
est-ce donc ce que nous sommes devenus
espèce menacée qui s’acharne à s’aveugler
dans la ronde stérile des horloges et des apparences
espèce menaçante et ravageuse de toute vie
pauvre d’illusoires possessions
pauvre de tout l’inutile qu’elle s’acharne à désirer
dans le grand vide d’âme
du monde de l’avoir
nous avons abandonné l’amour en chemin
et nous n’avons pas laissé
de petits cailloux blancs
derrière nous
© Francine Hamelin
Ce qui passe…
tous ces doux chants fuyants
sur la portée du vent
aux portes de la nuit
comme navires perdus
aux brumes d’un silence
toutes les fleurs courbées
sous les soleils de minuit
sur les chemins ouverts
d’une toute autre histoire
que les pays nommés
tous les reflets changeants
des aurores de braise
sur l’océanique voyage
des oiseaux aux ailes de sel
vers les îles bleues de l’enfance
toutes les rides à nos fronts
les rires les peines les tourments
les joies les douleurs les chimères
avant que le temps n’oblitère
le peu qu’il restera de nous
toutes les voix d’étoiles
filantes comme l’existence
visages et regards
ces étincelles d’âmes
au fleuve de la mémoire
toutes les feuilles envolées
les noms les heures et les lieux
d’une éternité provisoire
comme à l’automne de nos vies
tout ce qui disparaît sans bruit…
© Francine Hamelin
Grisaille
temps de grisaille
où je fais mon deuil des doux jours de lumière
et les forêts dénudées
sous le fouet de la pluie
révèlent les rochers en dormance
et la noire mélopée des épinettes
la froidure déjà a repris son royaume
se font rares les chants des oiseaux familiers
et mes rêves s’entêtent pourtant
à dépasser les ombres
et je bois à la source frémissante du vent
le vin vert d’une saison qui reviendra
après la blancheur fulgurante
des trop longues neiges
© Francine Hamelin
Vent nocturne
l’océan de la nuit
comme vague affamée
pose sur les arbres ses mains
en frissons de givre
le vent mélancolique
abolit les rivages du visible
et les reflets fantomatiques
des jardins silencieux
les morts et les vivants
ressemblent à l’oubli
au verger des horloges
où les heures se disjoignent
là où le rythme des sèves
s’immobilise dans l’infini des songes
comme une inaccessible sonorité
que l’on poursuit
dans des musiques errantes
dans le périple vertigineux des étoiles
hors des mécanismes anodins
d’un pays passager
où pourtant rien n’est étranger
et mon âme s’enroule
aux marées de la nuit
© Francine Hamelin
Traces
les traces que je laisse
sont des pas dans le sable
quelques petits cailloux
sur la route du vent
sont quelques mots écrits
sur le blanc des nuages
sur les vagues du temps
qui n’est jamais acquis
j’interroge la nuit
et le chant des espaces
j’interroge la terre
et le chant de l’oiseau
la douceur du silence
et la voix de la mer
la marée des étoiles
la rive du ruisseau
les traces que je laisse
sont les mots que me donnent
les routes bleues du rêve
ce devoir de rêver
pour la suite des choses
pour la vie qui nous forge
et ces mots que j’écris
s’effaceront sans bruit
les traces que je laisse
sont des pas dans le sable
sur la route du temps
qui n’est jamais conquis
© Francine Hamelin
Sorcières
sorcières éveillez-vous
voici les temps qui viennent
sorcières éveillez-vous
voici les temps venus
de prendre en main la terre
d’éclater les frontières
d’illuminer la nuit
d’un grand brasier de vie
on a dit que l’argent
est le nerf de la guerre
mais les banquiers du temps
ont eu assez de sang
sorcières éveillez-vous
gardiennes magiciennes
sorcières éveillez-vous
car les temps sont venus
d’une révolution
grande comme la Terre
sans seigneurs de la guerre
sans fusils sans misère
sorcières éveillez-vous
voici les temps qui viennent
sorcières éveillez-vous
voici les temps venus
de prendre en main la terre
d’éclater les frontières
d’illuminer la nuit
d’un grand brasier de vie
on a dit que l’argent
est le nerf de la guerre
mais les banquiers du temps
ont eu assez de sang
sorcières éveillez-vous
gardiennes magiciennes
sorcières éveillez-vous
car les temps sont venus
d’une révolution
grande comme la Terre
sans seigneurs de la guerre
sans fusils sans misère
quelles que soient les couleurs
qui divisent nos peaux
la mort est solitaire
quels que soient nos drapeaux
sorcières éveillez-vous
alchimistes de l’âme
shamanes de partout
voici les temps venus
il nous faut transformer
dans le feu de l’esprit
des siècles de colère
en grand brasier de vie
quels que soient les langages
qui divisent nos mots
le monde est à refaire
sans cris sans oripeaux
sorcières éveillez-vous
gardiennes magiciennes
shamanes de partout
sorcières éveillez-vous
© Francine Hamelin
Comme un phare
mon pays de nulle part
toi ma demeure et mon enfance
mon silence autant que mon cri
tu sais la couleur de l’espace
tu sais la douceur de l’aurore
et tu me traces des chemins
quand parfois je me perds dans la nuit
ou quand les yeux du vent se ferment
dans les ombres errantes
mon pays de nulle part
toi l’océan le navire et le port
de ce voyage toujours changeant
mon rivage mes îles au rythme des marées
tu connais des chants de sel et de flamme
comme un phare qui apaise
ce qui parfois pleure en moi
mon pays de nulle part
toi la source et le fleuve d’un ciel habité d’ailes
mon arbre peuplé d’étoiles
dans le secret de ses racines
tu m’emmêles au fil de tes rivières vives
à tes forêts d’immensité
tu connais chacun de mes rêves
ma part d’ombre
ma part de lumière
et tu défais pierre par pierre
les forteresses des exils
mon pays de nulle part
mon rêve à jamais intact
recommence-moi un langage
où tout puisse se reconnaître
que la vie soit un livre ouvert
dont les enfants tournent les pages
en réinventant l’univers
© Francine Hamelin
Entre-deux
soleils de nuit
ou bien jours d’ombres
entre les deux le monde oscille
dans un funambulesque vertige
sur le fil du rasoir
mais donc où finit le jour
où donc commence la nuit
dans la magnificence de cette terre
et dans sa douleur
et dans sa colère qui se lève
la vie renverse nos murs
nos frontières
nos horloges
beaux idiots que nous sommes
dans ce monde de grandes personnes
© Francine Hamelin
Dans la forêt
dans la forêt j’ai rencontré
des oiseaux qui allaient danser
sur la valse d’un ruisseau bleu
une religieuse immobile
toute vêtue de mante verte
un escargot qui grignotait
un plat de salade du jour
quelques limaçons qui trinquaient
assis au bar de la rosée
dans la forêt j’ai entendu
une corneille échevelée
avec une voix de rock star
quelques mésanges qui rigolaient
en se racontant des histoires
un merle qui improvisait
une sonate pour le soleil
et des grenouilles qui en chœur
dans la mare chantaient un gospel
entre les arbres et les pierres
dans le grand printemps de la terre
© Francine Hamelin
Devenir
mais de quel silencieux mystère
reviendront les hirondelles
dans une aurore mauve
pendant qu’oscilleront les arbres de l’été
sous les vents d’une secrète tempête
dans ce pays en devenir
dans les fables qui s’incarneront
dans les légendes vivantes des fleurs
je serai seule autour de mes os
mais la solitude sera imprégnée
d’une présence douce comme une forêt
© Francine Hamelin
Printemps
le rêve a allumé l’incendie du silence
dans l’œil bleu des étangs
les venteuses saisons
se sont perdues au bout de l’aurore nacrée
le rêve est à brûler en moi
comme un pays de lacs profonds
et tout ce qu’il me dit m’allège
du poids des îles innombrables
le rêve est désenseveli
le rêve est à me démêler
d’entre le fleuve et la rivière
d’entre la montagne et la mer
sous les brocarts de glace
au pourtour des étangs
s’est embrasée
la splendeur verte des herbes
© Francine Hamelin
En terre d’ici
vous dites que je meurs mais la vie me chavire
vous dites que je meurs au bout des paysages
que mes mains sont liées et mes paupières closes
que je dois me confondre à la foule incolore
et qu’il me faut plier et garder le silence
pour la terre épuisée j’ai payé de ma vie
pour vos montagnes d’or je ne suis pas à vendre
je ne peux plus me taire je ne veux plus attendre
vous dites que je meurs mais je parle pays
mais je vous dis amour je vous parle forêts
s’il est vrai que je meurs c’est dans le caribou
qui ne retrouve plus la piste millénaire
c’est dans le loup traqué c’est dans l’arbre abattu
dans vos jeux de massacre et dans l’enfant perdu
sous le poids des aciers et d’un jardin détruit
s’il est vrai que je meurs c’est en tout ce que j’aime
s’il est vrai que je meurs c’est en terre d’ici
vous dites que je meurs mais la vie me déchire
vous dites que je meurs au bout de ce voyage
que je n’ai d’autre choix que celui qu’on m’impose
que nul ne peut changer ce qui est établi
et que je n’ai pas droit à la métamorphose
vous dites que je meurs au bout de mon langage
au fond de vos machines mon destin est écrit
en équations sauvages en chiffres dérisoires
vous dites que je meurs mais je parle pays
mais je vous dis amour je vous parle rivières
s’il est vrai que je meurs c’est au bout de moi-même
dans la longue agonie des ultimes baleines
c’est tout au coeur de l’eau et des derniers saumons
c’est sous l’aile engluée des grands oiseaux de mer
dans les marées noircies au ventre des bateaux
s’il est vrai que je meurs c’est en tout ce que j’aime
s’il est vrai que je meurs c’est en terre d’ici
© Francine Hamelin
Soleil comme prière
pour ce matin d’acier pour cette ville dure
pour les pavés luisants sous les pluies lancinantes
pour tous ceux qui sont seuls et dont la solitude
s’ouvre tout grand le cœur en accueillant la terre
pour les déracinés dans les forêts du temps
pour tous les exilés dans les cités d’argile
j’écrirai en prière tous les mots du soleil
pour une chanson bleue qui prolonge mes veines
pour les neiges d’oiseaux et le vent dans les roses
et pour le temps rouillé en cette ville close
pour une main tendue une fenêtre ouverte
pour le piano muet sous les marées du soir
pour une enfance enfuie aux reflets d’un miroir
j’écrirai en prière tous les mots du soleil
pour la pluie en vitrail sur cette cité grise
pour ces vagues d’étoiles pour ce cri de silence
pour l’ivresse d’un chant qui bouleverse nos vies
pour l’herbe qui respire pour cet amour si grand
pour le feu et la glaise pour ce matin tremblant
pour le poids de la vie et pour la mort légère
j’écrirai en prière tous les mots du soleil
© Francine Hamelin
Chaque douleur…
chaque douleur dans l’univers
sens-la en toi comme une pierre
chaque joie porte-la en toi
comme une lumière infinie
au soleil du temps apaisé
© Francine Hamelin
Le monde brûle
«Our house is still on fire»
Greta Thunberg
nous traversons l’existence en aveugles
fermés à l’évidence de notre disparition
idiots utiles au règne du mensonge
et de la bêtise
pendant que tout brûle autour de nous
me voici étrangère en mon propre pays
la terre attaquée assaillie
je ne reconnais plus le paysage
nos racines ne se nourrissent pas de pétrole ou de cash-flow
la vie n’est pas cotée en bourse
où la mort seule fait des profits
et dans ce cauchemar de bitume et de métal
où s’éteignent les oiseaux et les arbres
j’entends la douleur de la terre
et l’asphyxie de l’eau
la vacuité des désirs et des mots
est assourdissante
vedettes instantanées du grand rien
minutes de gloire de l’inutile
dans la grande cacophonie des apparences
nous allons les yeux fermés le cœur clos
noyés sous le règne du superficiel
et le bruit de l’insignifiance
les puissants font leur spectacle
ces comptables de l’horreur
ces représentants de l’indignité
et de l’inépuisable cupidité
voleurs de vies
voleurs de rêve
vendeurs de mort
ils ont brisé le paysage
et laissé la peine en partage
là où il y avait des forêts
sont disparues les sources
où je pouvais boire
et les forêts profondes
dont mon enfance connaissait
chaque arbre et chaque pierre
sont disparues les hirondelles
que j’avais apprivoisées
et qui se perchaient sur ma main
j’entends les larmes de la pierre
et la clameur de l’océan
je sais la douleur de la Terre
et notre impardonnable aveuglement
© Francine Hamelin
Les noms de mon pays
mon pays sera soleil et musique
quand le jour se posera sur la terre
dans les prophéties des vastes saisons
dans l’étrange chant des rosiers en fleurs
mon pays sera demeure et silence
dans mes Amériques de folles flammes
mon pays sera forêt et rivage
dans la neige bleue des herbes et du vent
je le nommerai enfance et chemin
dans les migrations d’outardes et de sel
dans le cri montant des journées sauvages
dans la voix des arbres et des pierres douces
je le nommerai par des noms vivants
© Francine Hamelin