Pour dire mon pays et ceux qui l’habitent

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Givre

 

le temps prend doucement langage de ses presque-neiges
j’ai repeuplé d’eau et de bois
mes pays longs comme lichens
avec l’étoile et la toundra
avec le vent   avec l’aurore

j’ai rassemblé les vastes solitudes
dans la main du rêve
ô mes pays d’outardes
au chant irisé du givre

© Francine Hamelin

 

pour

Matin intemporel

 

ce matin je me suis noyée de soleil et de vent
j’avais des roses dans la tête
des hirondelles au bord du cœur
j’ai bu le sang des oranges qui avaient poussé
dans les buissons de sable ardent d’un monde sans murailles
et mon pays s’en est teinté de pourpre et d’or et de cristal

ce matin j’ai ouvert le regard d’une fenêtre
et ma maison s’est est emplie d’aigles en feu et de chemins
et des visages de lumière se sont inscrits sur l’été
qui vibrait en s’enroulant au chant secret des arbres

comme un oiseau intemporel
comme un jardin de pavots bleus
un enfant est venu chez moi
il n’a pas frappé à ma porte
il est entré sans dire un mot

il a bu l’eau de mes fontaines
l’azur de mes greniers
le calme de mes rivières
en ce pays d’éternité où s’était alangui le temps
au bout de son très doux cortège

nous avons partagé le rêve
jusqu’aux abords de la nuit

© Francine Hamelin

 

pour

Enfance de jade

 

tu traces des rivières
et des ponts comme des colliers d’ambre rouge

tu dessines le monde
en cri de jardins et de broussailles
et tu y plantes tes dix doigts
comme des racines d’émail
tu y fleuris tes deux mains
en gerbes de sources sauvages
tes mains patientes pour donner
le lierre à l’arbre l’oiseau au vent

tu bâtis le coeur des jours
à mesure de roseaux et d’ardoise
d’étangs et de torrents

quelque part les arbres te feront signe
et te reconnaîtront
de feuillages en racines reconnaîtront ta voix
reconnaîtront ton nom
en chant de soleil ou de solitude
car ils te sauront enfance de jade
enfance-musique et cantate d’eau

tu traces des fleuves et deviens la source
tu épelles le temps et deviens éternité
tu donnes un regard et tu parles en silence
tu parles du monde et tu es présence

et moi je te sais en ta transparence
enfance de jade
enfance-soleil voix des magiciens
comme tes rivières et les ponts dessus
comme tes ponts d’aube au-dessus des nuits

© Francine Hamelin

 

pour

Aigue-marine

 

l’oiseau fluide médite son envol
avec en ses prunelles une impalpable profondeur
un message d’eau et de sel

bel oiseau criblé d’ondes odorantes
imprégné de varech aux îles soudaines et comme attendues
bel oiseau aux ailes ruisselantes comme une caresse
dans la bruissante enfance de ses voyages

naufrage d’arbres au pli de l’horizon
à la dérive des sables

l’oiseau fluide respire la couleur de son envol

© Francine Hamelin

 

pour

Au coeur des Amériques

 

au coeur des Amériques longues
et brûlantes de cendres
je dis mon pays
de roses calcinées en mémoire de blé
avec ses rêves d’eau et ses chemins perdus
des secrètes aurores aux villes solitaires

© Francine Hamelin

 

pour

Feuillage

 

j’écoute le feuillage parler de jardins suspendus
entre fougères et futaies
j’écoute le bois en cascades de sève et de pollen
parler de mousses et de parfums

l’arbre augure la forêt

© Francine Hamelin

 

pour

M’entendrez-vous demain…

 

m’entendrez-vous demain alors qu’au creux du temps
je parlerai parfois d’un vol d’oiseaux sauvages

vous serez partis
peut-être
et je ne sais si mes mots sauront encore chanter
la liberté des astres
l’enlacement des rivières

vous serez ici
peut-être
étrangement semblables et pourtant différents
et il neigera des nénuphars sur les villes
et les fenêtres seront des regards
et les regards s’attarderont
sur les jours envahis de lichens et d’enfants
et les enfants incanteront la vie

je vous chercherai
peut-être
et je vous aimerai
de cet amour si proche des arbres et des êtres humains
plus loin que les miroirs et les mondes longs

la vie n’aura plus d’ombre

© Francine Hamelin

 

pour

 

À regarder par la fenêtre…

 

à regarder par la fenêtre
le jour qui vient à pas de soie
on entend des voix dans la rue
un enfant qui parle de rêve

ce soir il neigera peut-être

le piano est silencieux
une autre musique renaît
comme une cantate en aurore
aux roses de pierre des demeures

et quelqu’un chante dans la rue
demain il fera beau je crois

quelqu’un chante la liberté
avec des mots de lilas blancs
avec des mots de rêves bleus
qui viendraient à calmer l’automne
si l’automne pouvait changer
de couleur ainsi que de vent

à regarder par la fenêtre
on apprend le monde et les gens
à regarder passer le temps

© Francine Hamelin

 

pour

Le siècle secret

 

j’ai à mes yeux de sable un arbre océanique
à mes pays un fleuve éclaté d’univers
à mes rosiers la terre des demeures sacrées
au centre de mes bras le nom de mes amis

et dans l’envoûtement des propices saisons
les magiciens de l’aube ont délivré ma voix
et j’ai franchi des seuils d’intense solitude
créé contre la mort des incantations d’air

dans le siècle secret de contrées sans frontières
j’ai célébré l’offrande des oiseaux ruisselants
le rêve lumineux qui habite nos os
comme une transhumance au langage des fables

je n’ai laissé de traces qu’aux puits de mes royaumes
pour que se renouvellent les chants de plénitude
et pour que les moissons transpercées d’anémones
me révèlent à nouveau la présence des sèves

car j’avais dans mes veines une île foudroyée
de multiples comètes en ses pierres profondes
un pays de silence aux musiques du cœur
et au cœur de mes doigts la courbure des sources

d’étranges tournesols ont plu sur ma planète
d’innombrables résines ont transformé les pins
et métamorphosé les statues de granit
mais ont laissé intactes les racines de l’aube

mais aujourd’hui le temps s’est dissous sans un heurt
au pacte perpétué de nos nouveaux visages
pareils à des étangs vivifiés de fougères
dans le tressaillement d’une première aurore

j’enterre les épées sous le nom de l’hiver
pour que se fonde encore l’alliance profonde
aux pays épanouis de forêts innombrables
comme une enfance immense devinée sous les âges

ô mystère de l’eau en mes châteaux d’opale
ô chemins de sel clair   transparence du jour
où s’effacent les heures dans le vent vagabond
comme en ces lieux vermeils où le temps ne demeure

j’ai cueilli ce matin un regard en ogive
et des roses de pluie aux portes des demeures
où j’ai vécu debout comme un arbre de pierre
en ces pays d’espace où rien ne s’abolit

un soleil est venu aux cathédrales bleues
à mes paumes en rivières d’infinies arabesques
un soleil éclaté aux cantates de terre
comme un rire de sources aux forêts de lumière

je te donne aujourd’hui l’éternité du rêve
un cosmos à peupler d’enfances connaissables
je te donne aujourd’hui les mots de mon silence
et le siècle secret de mes mains au poème

© Francine Hamelin

 

pour

Marée montante

 

je dis la présence du chant
de la marée montante
au cri des vaisseaux d’algues et de cordages
où des êtres au regard profond
accueillent les jours paisibles

je dis forêt et je dis terre
à la cathédrale de l’arbre
dans l’unité de sa croissance
et dans la durée du pays

je dis lumière pour l’enfance
que nous portons au creux du cœur
l’enfance qui peuple nos doigts
et garde intact l’univers
quand nous apprivoisons le vent

© Francine Hamelin

 

 

 

 

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