Tout le désert à traverser
«On peut mourir d’être immortel».
Nietzsche
tout le désert à traverser
pour nous séparer de nous-mêmes
toutes les statues du jour à briser
pour ne plus chercher une fausse lueur sur les marbres
l’enfant triste libère le songe
nous vidons nos mains de toute impatience
nous avons dépassé la forêt des paroles
nos corps-transparences s’évaporent sous les multiples et vagues soleils
nos regards ne s’arrêtent plus à la muraille de notre existence
nous n’avons plus que la fragilité
de nos invisibles musiques
et de notre naissante immortalité
et nous y survivons à peine
© Francine Hamelin
Périple
comme un grand vol d’oiseaux
les musiques deviennent de longs chemins d’espace
les roses de l’hiver se givrent aux fenêtres
et cet arbre posé
comme une offrande sur la pierre profonde
me dit encore d’aller au bout de ce voyage
me dit d’aller plus loin
que les jours et les mondes
au bout des paysages et des temps hermétiques
j’ai voyagé longtemps
parmi les rêves doux et les pays multiples
je suis déracinée des villes de la nuit
le temps a incanté chaque mot chaque phrase
chaque silence aussi comme un rythme furtif
au profil de mes heures les outardes repassent
avec des cris de brume et des mystères d’ailes
j’ai voyagé sans fin en espérant atteindre
plus loin que les déserts de rien et d’eau
la fascinante transparence du songe
un univers perdu aux confins de la nuit
comme un espace humain et dense de musique
et je meurs chaque instant de ce pays qui chante
je meurs et ne sais plus ni mémoire ni mort
que ce très grand soleil au cœur des demeures d’enfance
ô mon pays possible je sais bien ta présence et ma fragilité
tout dépend de l’aurore et de sa plénitude
tout dépend du silence et de son poids de vie
tout dépend des paroles et de leur poids d’amour
tout me touche et m’atteint au seuil de ma saison
© Francine Hamelin
L’oiseau aveugle
ô jour nu et translucide des jardins
en plein midi l’enfance me montre
son profil de lumière
ses gestes dévorés de soleil
l’oiseau aveugle fixe de ses yeux de sable éteint
l’arbre en son cœur secret
les miroirs ont brûlé son regard
mais un océan habite sous son aile
au-delà de ses prunelles immolées de reflets
l’oiseau rêve dans le jardin
nos bras refermés sur les roses veillent
la solitude de sa cécité
le feu se givre comme une pierrerie à nos lèvres
notre sang s’accomplit en transparence
filigranes d’aubépine
crépitement des sèves
ô incandescence du jour
parmi les fêtes
l’enfance renoue le fil des fontaines
que d’autres avaient perdues
pour avoir trop régné
sur le versant de sel des montagnes arides
*****
dites
suffirait-il d’écouter l’arbre
pour que se dévoile le mystère du temps
au coeur des cathédrales
dites-moi
suffirait-il qu’une lueur s’attache
aux pas des orpailleurs
suffirait-il qu’un cristal se déplie comme une flamme
pour que tous les vitraux deviennent un anticrépuscule
l’oiseau rêve entre les heures
ses yeux attendent éternellement
*****
des arlequins libèrent les colombes
dans les cités solaires
dans le rite essentiel
leurs mains sont apaisées et calmes comme une eau
mon sang s’étonne au rire d’une rose des vents
j’avance plus loin
plus près
au mystère des fontaines
un langage grésille sous le chant de l’oiseau
*****
peut-être aurai-je mémoire
de l’envers de l’eau
de l’envers du temps
et de tant d’arbres bleus
naissant aux sillons de mes paumes
alors je dirai le dépouillement du jour
c’est de magie et de lumière
que s’inventent les aubes
c’est de vivre que j’aurai souvenance
alors je dirai la montagne
épanouie d’un printemps sacré
et l’oiseau aux yeux retrouvés
dans la fusion du jour
*****
l’oiseau respire entre les flancs de la forêt
l’oiseau-cathédrale
source de lumière
et attente du monde à naître
présence douce au ventre de la terre
ô instant de marée pure
quand vacille son chant comme un souffle
quand rayonnent en lui
les rires de l’univers
et le matin qui s’éveille aux paroles des arbres
*****
le soleil a bu
jusqu’aux racines d’ivoire de mes os
jusqu’à la rose pourpre de mon sang
il n’a laissé de moi
que l’image blanche et saline
de mon visage perdu au faîte des falaises
mes lèvres à peine brûlées du cri des vagues douces
mon âme devant moi
plus longue que mes bras
mon enfance comme un jardin océanique
il n’a laissé de moi
qu’un geste paisible dans la nudité du jour
pour l’oiseau au regard intérieur
© Francine Hamelin
Automnes
à vous savoir si près si calmes
si tranquilles à toute parole
ainsi qu’à toute solitude
je sens les jours qui se musiquent
comme un nuage entre les doigts
d’une caresse qui s’incante
à vous savoir plus doux encore
que le froissement d’un pétale
au rêve de l’étang-cristal
aux bras tendus d’une prière
comme au nom des pays perdus
le vent en moi chante et s’élance
et tresse un jardin inconnu
dans le safran de ses feuillages
dans la pourpre de ses artères
et le soleil dans la maison
accroche du cuivre aux fenêtres
et tisse d’or les boiseries
à vous savoir si infinis
je sens le temps qui se défait
à vous savoir si éternels
ô mes automnes de couleurs
© Francine Hamelin
En haut des collines
aux rives vermeilles
d’un rêve incommensurable et ardent
le vent traçait des signes
comme des étoiles vives
tombant une à une des sabliers éternels
un enfant chantait en haut des collines
musique démesurée
de la terre à naître
en chaque bruissement de feuillages
en chaque envol d’aile
dans l’espace flamboyant
déjà le siècle était à mourir en moi
et la vie m’enfantait
pour la seconde fois
*****
je me suis départie du sommeil
parmi les teintes ciselées des matins libres
parmi les parfums sauvages des steppes solaires
et les translucides volutes du vertige
le temps rouillé des villes rompues
redevenait poussière pourpre
se dispersait sous le souffle des étés magiques
les univers perdus refleurissaient
cathédrales moussues
corolles écarlates
ô sortilèges vivants des pierres respirantes
dans les fluides forêts de fougères
mes yeux étaient remplis d’algues bleues comme l’eau
mon âme était une marée montante
les digues étaient brisées qui retenaient le jour
j’appartenais
à la brûlante naissance des aurores nouvelles
© Francine Hamelin
Mémoire
j’erre
à travers
le lierre
des jours
revenus
je n’ai plus
de chemin
je n’ai plus
de saison
aucun visage
n’effleure
ma mémoire
le chant
du sang
dans mes veines
brûlantes
charrie
l’ultime temps
des paroles
oubliées
j’erre
à travers
les souvenirs de la terre
souvenirs étrangers
des poèmes de fer
souvenirs insaisissables
de l’aube de mes ans
© Francine Hamelin
Comme partaient les oiseaux
comme partaient les oiseaux
au vent de l’automne
comme s’effaçaient les temps innombrables
aux racines de nos mains
nos regards cherchaient
une terre d’enfance
où resplendissaient les marées mortes
sur le rivage millénaire
comme pâlissaient les profondeurs marines
dans les brumes-feuillages
comme mouraient les soirs
au fil des saisons sauvages
nos voix-arbres s’arrêtaient
pour tromper les heures lentes
comme se perdent les ans
à la couleur des jours
comme s’ennuient parfois
les chemins familiers
nos visages se sont endormis
racines de tempête
dans les blés de la terre
© Francine Hamelin
Les soirs oubliés
je ne sais pas pourquoi dans les soirs oubliés
des châteaux inconnus
bâtissent des chimères
pourquoi tant de bateaux s’en sont allés mourir
en cherchant l’infini
je ne sais pas pourquoi l’hiver
a pris couleur
de safran et de dahlia
© Francine Hamelin
Sur les murs de la ville
j’ai marché dans la ville au détour des saisons
et les chemins du temps avaient nom de silence
les fenêtres pleuraient des soleils entrouverts
comme des jardins fous dans leurs lourdes dentelles
astres de cuivre et d’or d’une cité perdue
aux jours de sortilèges et de vies oubliées
arbres tentaculaires ô terre des rosiers
et le chant de mes veines prolongeait les aurores
au présage profond d’un geste d’infini
au sillage si bleu des lumières océanes
aux routes des présences et des pays d’enfance
sur les murs j’ai écrit le langage des pierres
les vies en paysages et les mots des rivières
tout est à découvrir et rien ne m’est acquis
sur les murs de la ville j’ai rêvé tout un monde
et la suite des astres et les algues de brume
et j’ai perdu mon âge en trouvant les chemins
pour ouvrir à jamais l’espace du silence
© Francine Hamelin
Temps mort
l’ivresse de nos mains s’accroche aux cordages des regards
nous ne cesserons jamais de revenir
aux jours qui se disjoignent
les morts et les vivants ressemblent à l’oubli
les mots s’attardent à la coupe de nos lèvres
nos voix s’étiolent au verger des horloges
notre existence acquiert le rythme des sèves
lourdes de nuit
immobilisées dans l’infini des songes
mais où est cette morte apaisée de nos coeurs
cette mort impassible où les veines se brisent
cette mort uniforme où la mémoire s’évanouit
cette mort de velours et de soie et d’opale
où le temps se confond aux sources droites
où les fleuves remontent aux entrailles du sol
*****
ô mort
dans ton resplendissant mystère
tu as vaincu nos demeures
car noir est le soleil et noirs nos visages
et noires nos défaites
quel chemin avons-nous parcouru
à quelle ardente flamme
avons-nous brûlé notre enfance
quels rosiers de cendres fines
avons-nous piétinés dans notre course
quelle inaccessible sonorité
avons-nous poursuivie
dans nos musiques errantes
*****
nous vivions entre l’arbre et l’écorce
entre la chair et les os
entre ailleurs et nulle part
entre ailleurs et là-bas
silence
ô portes de la nuit ouvertes à deux battants
soleil déclinant sur nos gestes
mirages
ô ombres à peine élucidées
*****
ils couraient vers la mort
avec ce sourire des plus grandes tristesses
dans les derniers sillons d’un dernier crépuscule
en laissant derrière eux
la sombre déchirure de leur vie
l’espoir écartelé
gisait sur les chemins délaissés de leur nuit
sur les sables de leur désert
ils se jetaient dans l’abîme
avec cet indéfinissable regard qui nous brûlait
parce que nous demeurions
entre la chair et l’écorce
entre l’eau et le feuillage mauve du soir
entre un monde fossile et un sanglot d’enfant
entre l’oubli et la mémoire
entre notre image et nous-mêmes
entre ailleurs et nulle part
© Francine Hamelin
Partage
ô partageurs de rêve au-delà du sommeil
vous que l’été habite et que l’espace enchanrte
vous dont j’ai su le nom de par la voix des aubes
je dis que j’ai posé mon front à vos épaules
et que la mort fondait comme un miroir gelé
comme une neige pâle tout au bout de vos doigts
amis dedans ma vie ô rêveurs de la terre
je dis que j’ai tourné comme fleur au soleil
en me riant du temps qui s’essoufflait en vain
je dis que j’ai dansé aux routes de tendresse
quand de vos mains tendues jaillissaient la cadence
et la folle beauté et le chant du silence
compagnons de la fête et des saisons profondes
je dis que s’épanouissent tous les chemins d’enfance
en cherchant un pays sans mesure ni loi
où toute solitude s’effrite peu à peu
où la nuit s’illumine où le jour se prolonge
de chaque mot d’amour prononcé par nos yeux
© Francine Hamelin
Le monde de nos mains
le monde de nos mains
à l’ivresse nous lie
un jour
au tressaillement
des choses du silence
un jour à peine argenté
dans la mélancolie des pavots oubliés
le monde de nos mains se clora
comme une rivière
remontant aux sources ciselées
du sommeil rêvé
© Francine Hamelin
L’enfance viendra
l’enfance viendra à mes mains tendues
plus loin que la vie plus loin que la mort
les nuits tomberont comme des couleurs
l’enfance viendra à mes doigts de pierre
les jours brûleront comme des oranges
comme des ruisseaux d’oiseaux fulgurants
les ans brilleront comme des cristaux
l’enfance viendra avec ses yeux clairs
mille fleurs d’arbres comme un grand jardin
couvriront la terre et les îles d’aube
mille fleurs en moi se dessineront
l’enfance à jamais ancrée en mon âme
© Francine Hamelin
Or il y eut un pays d’eau
or il y eut un pays d’eau à chaque fenêtre du jour
et des hymnes au-delà des futaies
dans les ferventes équinoxes
comme une aile en frisson d’ardoise
en soupir d’encens
or il y eut un pays d’ambre
dans un grand feu de braises fabuleuses
plus loin que les miroirs des glaciers errants
j’avais pleuré une rose des vents
sous mes paupières bleues
les arbres s’apprivoisaient au-delà des soleils
c’était un temps de sources
multipliées d’astres
or il y eut un pays de haute mer
comme une cathédrale vive
dans les salines du silence
© Francine Hamelin
Avant que les villes ne meurent
j’avance
en tenant mon destin entre mes paumes
j’avance au milieu des parfums ciselés de soleil
au fil des moissons tressées de lumière
je rallie les chemins d’argile et d’anémones
pendant qu’au loin un bruit de pas
s’invente un château où marcher
j’avance au risque du matin
au hasard de l’instant et de l’éternité
comme on va boire à la margelle d’un puits limpide
comme on pose son front à l’épaule d’un arbre
j’avance à perte d’âge et de mémoire
pour découvrir le premier matin de la vie
je tends mon destin comme une offrande silencieuse
je suis femme de la terre
il ne fallait pour cela
qu’apprendre la patience et le goût des chemins
avant que les villes ne meurent
de n’être qu’un très long mirage
© Francine Hamelin
Horizon
et j’ai ouvert mes prunelles d’eau
à la mort de l’instant
à la naissance de l’éternité
le soleil a défait la solitude de mes mains
et le givre de mes arbres songeurs
je cherche l’horizon
et trouve l’infini du rêve
s’étendant comme une musique
comme aussi une présence au plus secret du vent
ô vitrail incandescent des jours énigmatiques
fenêtres crépitantes du matin
quelle paix est donc venue
briser la voix des patientes horloges
quelle lumière palpite dans les yeux des enfants
comme un pays peuplé de sources
© Francine Hamelin
Incantation pour des arlequins
de grands aigles tournoient dans le soir
de grands aigles de feu et de braise
qui volent au rythme lancinant de notre sang
et qui vont se noyer au puits de notre ivresse
nous avons bu tous les vins du jour
tous les noirs poisons de la nuit
toutes les fluides images des préexistences
au-delà des vastes solitudes désertiques
au-delà des ruines du temps hermétique
au-delà de toutes les couleurs
d’un monde qui dérive et se perd
nous avons découvert de fantasques arlequins pétrifiés
à demi enlisés dans les sables et les brumes
et nous leur avons envié leur paisible sommeil
une voix feutrée de mélancolie
s’emparait de toutes les courbes
d’un invisible royaume
des fleurs ciselées se penchaient sur les gisants désensevelis
arlequins rongés de lichens
dans un rêve de mille siècles
et nos patientes incantations
ne les firent pas renaître
de leur minérale tristesse
© Francine Hamelin
Je prendrai le chemin de l’aurore
nous avons fermé nos doigts
sur la lumière des herbes
les éphémères sourires ne nous attendaient plus
au dédale des soir
aux adieux des gares
nos chevaux étonnés
arrêtaient leur course ivre
de cristal et de cuivre et de cristaux épars
nous vivions nos enfances vibrantes
nous retenions les heures
au mirage des rivières
je divaguerai aux musiques des soleils
je prendrai le chemin de l’aurore
nul ne m’attendra à minuit dans la ville
et le temps s’enfuira telle une ombre mouvante
sous le feuillage clos de mes paupières
nul ne m’attendra parmi les heures mordorées
je tomberai dans l’harmonie des herbes folles
dans les chants du matin
© Francine Hamelin
Rêve
un soleil s’alanguit
et sur la place grise
mes fidèles statues
veillent la mort su jour
mes chiens au regard d’ambre
guettent les inconnus
qui aux portes s’attardent
et repartent bientôt
à la nuit mes statues
ferment leurs yeux d’ivoire
et leurs mains longues et belles
s’ensablent à demi de sommeil et d’ivresse
pendant que mes grands chiens
mes compagnons de solitude
reposent sur le marbre
d’une pâle fontaine
au matin mes statues
s’éveillent aux lumières
d’une aurore écarlate
et d’un astre levant
mes chiens rapides dans la plaine
rêvent de chemins bleus
de couleurs automnales
et de chants égarés
mes fidèles statues
par les journées sauvages
gardent dans leur cheveux de vent
le secret de leurs gestes
mes chiens aux yeux océaniques
posent leur tête brumeuse
sur le sillage imaginaires
des impossibles voyages
© Francine Hamelin
Attente
entre l’eau et la terre
j’attends
la vie m’est mémoire de transparence
dans la chaleur des longues étoiles pourpres
entre l’aube et l’aurore
j’attends
ô cosmique solitude des soleils
chaque instant est éternité
*******
mais aveugle j’attends
les villes sont venues mourir comme des coquillages
aux portes de nos vies
plus rien entre les jours que cette attente lancinante
villes fondues que nous avons tuées avant l’aurore
quand n’existait que cette solitude parfaite
de l’homme face à l’homme
le temps sans doute a rongé nos rêves de fleuves perdus
nos cœurs sont mis à nu
mais tout est immobile
nul ne parle nulle main ne se tend
aveugle
j’attends que se soulèvent les rochers de mes paupières
rien ne tremble au creux des saisons
nul geste ne déroule son frémissement
nulle route ne déploie ses doigts de poussière bleue
tous les ruissellements d’astres se sont pétrifiés
-par quel destin magique-
rien ne tremble
et j’attends
******
ô difficile parole du monde solitaire
au seuil du sable et de la cendre
entre les rives secrètes des étangs
séjour des fontaines craintives
mystère des êtres si fragiles
nous écoutons
qui donc répondra à la muette interrogation des algues
maintenant que se sont tus tous les langages
et toutes les voix d’oubli et de mémoire
chemins enchevêtrés de la difficile parole humaine
*******
l’hiver avait rongé notre mémoire
mais nous avons tué les villes
avec une poignée de blé
jetée au hasard du rêve
des oiseaux sont venus tomber
dans le jardin désert
alors nous nous sommes étendus au creux du temps
*******
aveugle
j’attends
parmi les rues ensevelies d’herbes hautes
tous se sont couchés sur le côté
ceux qui chantaient
et ceux-là qui marchaient sur leur ombre
ceux qui parlaient
ceux qui regardaient
ceux-là aussi qui construisaient leur oubli
tous
innombrables
à refaire la patience du monde
et les pays vivants
à apprivoiser le très grand secret de la terre
immense et belle parole de vivre
rien ne tremble que l’espérance
*******
entre nuées et galaxies
j’attends
nous avions troué l’horizon
ô abîmes du rêve
ô brumes fluviales de l’âge des cités
alors nos regards se perdirent parmi les espaces
*******
ô villes secrètes que nos mains déracinèrent
quand les marées des montagnes
criaient leur frisson de granit
ô écume des rochers
quand les fleuves de pierre
se cimentaient au printemps des aciers
mais nul ne retrouve l’accent d’un premier soleil
rien ne murmure au fond des jours
*******
j’aimais
ah comme j’aimais la voix des eaux mouvantes
mais il n’est point d’eau dans le silence
qui fasse même une rumeur
tout se tait
jusqu’aux racines de notre enfance
j’attends
j’attends que s’évanouisse le reflet pétrifié du demi-sommeil
et qu’éclate la surface de ce trop calme miroir
où tous ont accroché leur nom et leur visage
j’attends que s’éveille le monde
il n’est point de mur si étanche
qu’il ne laisse pousser des arbres
*******
silence
ô parole parfaite
je signerai un pacte avec l’étoile
*******
j’attends
l’univers m’envahit
en moi se rejoignent paix et angoisse
musique et immobilité
en moi se confondent
les océans et les rivages
l’oiseau et l’oranger
la main et le geste
*******
un enfant nous a pris par la main
alors nos yeux se sont ouverts
sur le jour éclaboussé de soleil et de cristal
et nous nous sommes relevés
nos veines vibrantes de comètes
ô nuées d’ailes dans nos têtes
*******
Terre
Terre
pays de lumière
cathédrale de beauté
et c’est ici que nous vivrons
Terre ô Terre
cheminement d’humanité
rouge splendeur du songe
Terre
c’est pour toi que nous serons
sentinelles attentives du vent et des sèves
dans l’unité de l’arbre
*******
je crois encore en la magie du monde
© Francine Hamelin
Dans la ville
sous les nuages
qui s’allongent
se poursuit l’errance d’un homme
il est seul
si seul
sous la pluie de novembre
qui coule
douce
sur les feuilles jaunies
sur les pavés de suie
il et seul
si seul
devant la ville grise
aux arbres de béton
dites-moi votre nom murmurera-t-il en vous voyant passer et parlez-moi un peu rien qu’un peu de l’été mais vous passerez près de lui en regardant la pluie qui coule sans fin et le temps continuera sa course
un homme dans la ville
marche tout doucement
sous le vent qui le pousse
il ne s’aperçoit plus
du temps qui se fait long
il marche sans buter
pour ne pas éveiller
la pierre qui sommeille
il vous verra passer et il vous sourira peut-être il vous dira la pluie est froide ce soir n’y a-t-il pas de soleil au-dessus de cette ville mais vous regarderez les réverbères de la ville endormie
et l’homme est toujours seul
parmi
les gens
qui passent
© Francine Hamelin