Un texte que j’ai écrit il y a un bon bout de temps, en mémoire d’une amie qui m’avait raconté un peu de son enfance et qui s’est suicidée, trop tôt, trop jeune.
La femme tourne sur elle-même, prise au vaste piège du temps et de la ville.
Marcher. Marcher toute la journée. Errer à n’en plus finir parmi les tours et les détours de la mémoire inutile, dans les rues bruyantes où il n’y a rien à écouter. Errer à n’en plus pouvoir, à n’en plus retrouver le fil de son existence, ce fil si mince sur lequel il faut avancer.
La femme a envie de crier. Les murs sont partout, unique horizon, Grande Muraille de la solitude.
Elle voudrait pouvoir dire «je vous aime» à quelqu’un, n’importe qui ayant visage humain, parce qu’elle n’en peut plus de tous ces murs d’indifférence qui ne lui renvoient même pas l’écho de sa voix.
Elle voudrait pouvoir dire «je vous aime» et ne pas avoir s’excuser de cette parole. Dire «je vous aime», oublier pour un instant qu’elle doit endiguer ses rêves. N’y a-t-il donc que les fous à être eux-mêmes?
Rompre le silence, briser la carapace, ôter le masque, comme si elle venait d’un autre univers, comme si elle ne connaissait pas les usages de cette planète… Dire «je vous aime» à un être revêtu d’humanité, d’un corps temporaire, d’un déguisement provisoire. Dire «je vous aime», oublier qu’elle n’est qu’une invitée involontaire au grand bal masqué de la Terre.
La femme regarde ses rêves s’effilocher, étrange vertige.
Une enfant aux yeux d’ébène et de lumière passe devant son regard. La femme la contemple intensément, nostalgie brûlante qui monte en elle comme une marée de pleine lune.
Visage de l’enfant qu’elle était et qui s’éveillait parfois au milieu de la nuit pour aller dire aux grandes personnes: «Je veux apprendre le piano». Et lorsqu’on lui répondait : «Ce n’est pas une heure pour apprendre», elle répliquait: «Mais il n’y a pas d’heure pour apprendre» et n’obtenait qu’un désolant: «Il est trop tard, va te recoucher» ou «Il est trop tôt, laisse-nous dormir».
Toujours trop tôt ou toujours trop tard.
Et l’image de l’enfant aux yeux d’ébène se fracasse comme un miroir dont les éclats déjà mourants vont se fondre aux pâles reflets des rêves perdus.
La femme regarde ses doigts.
Elle n’a jamais appris le piano.
La vie est en pièces détachées…
© Francine Hamelin (tiré de Tristesse de pierres)
un si beau et si triste texte Francine
et j’entends le piano pleurer de n’avoir jamais pu offrir sa musique aux doigts de la femme
J’aimeJ’aime
Je ne sais pas si elle serait devenue pianiste, mais si elle avait vécu, elle serait devenue une grande écrivaine…
Ainsi vont la vie et la mort.
🌹
J’aimeAimé par 1 personne
elle est partie
Partition , écriture inachevées
À l’heure qu’ elle a choisi
Ni trop tôt ni trop tard
J’aimeJ’aime
🌹
J’aimeJ’aime