l’ivresse de nos mains s’accroche aux cordages des regards
nous ne cesserons jamais de revenir
aux jours qui se disjoignent
les morts et les vivants ressemblent à l’oubli
les mots s’attardent à la coupe de nos lèvres
nos voix s’étiolent au verger des horloges
notre existence acquiert le rythme des sèves
lourdes de nuit
immobilisées dans l’infini des songes
mais où est cette morte apaisée de nos coeurs
cette mort impassible où les veines se brisent
cette mort uniforme où la mémoire s’évanouit
cette mort de velours et de soie et d’opale
où le temps se confond aux sources droites
où les fleuves remontent aux entrailles du sol
*****
ô mort
dans ton resplendissant mystère
tu as vaincu nos demeures
car noir est le soleil et noirs nos visages
et noires nos défaites
quel chemin avons-nous parcouru
à quelle ardente flamme
avons-nous brûlé notre enfance
quels rosiers de cendres fines
avons-nous piétinés dans notre course
quelle inaccessible sonorité
avons-nous poursuivie
dans nos musiques errantes
*****
nous vivions entre l’arbre et l’écorce
entre la chair et les os
entre ailleurs et nulle part
entre ailleurs et là-bas
silence
ô portes de la nuit ouvertes à deux battants
soleil déclinant sur nos gestes
mirages
ô ombres à peine élucidées
*****
ils couraient vers la mort
avec ce sourire des plus grandes tristesses
dans les derniers sillons d’un dernier crépuscule
en laissant derrière eux
la sombre déchirure de leur vie
l’espoir écartelé
gisait sur les chemins délaissés de leur nuit
sur les sables de leur désert
ils se jetaient dans l’abîme
avec cet indéfinissable regard qui nous brûlait
parce que nous demeurions
entre la chair et l’écorce
entre l’eau et le feuillage mauve du soir
entre un monde fossile et un sanglot d’enfant
entre l’oubli et la mémoire
entre notre image et nous-mêmes
entre ailleurs et nulle part
© Francine Hamelin (tiré de Les heures de sable)